1. Analyser et scorer les performances pour améliorer ses prises de décisions
La création des agences de notation
Le principe de noter des actifs s’est développé prioritairement dans le domaine de la finance. Ainsi les agences de notation ont émergé au début du XXème siècle pour proposer des données, des analyses quant à la qualité de crédit des émetteurs ou des emprunteurs. La finance a fait sien le principe du scoring pour devenir un outil d’aide à la prise de décision.
Au-delà des scores attribués par les agences, les résultats sont également un outil de benchmark. Dans le cas d’une analyse purement financière, les données (structurelles, sectorielles, financières ou de comportement) constituent le scoring financier. Il peut alors être comparé avec la moyenne de son secteur. En effet, une analyse devient pertinente seulement si elle entraîne une comparaison avec d’autres résultats.
Les agences de notation extra-financières
Au cours des années 2000, de nouvelles formes d’agences de notation privées ont été créées dans le but d’évaluer les entreprises sur des critères environnementaux et sociétaux. Il s’agit d’agences de notation extra-financière. Ainsi de nouvelles données sont collectées pour apprécier de manière plus globale l’impact des entreprises. Afin de réaliser ces analyses, les agences s’appuient sur des données qualitatives et quantitatives qui sont examinées pour fournir un rapport de tendance afin d’évaluer les risques d’une entreprise ou d’un marché. Ces données sont issues de plusieurs sources qui peuvent être publiques tel que le gouvernement, les médias ou ONG, mais aussi privées, qui proviennent d’acteurs économiques (questionnaires, entretiens) ou de fournisseurs spécialisés.
L’ensemble des informations collectées et leur analyse ont pour vocation de mieux orienter les choix et les décisions. En associant des critères financiers et extra-financiers, il est possible d’obtenir une analyse globale qui peut alors prendre la forme d’une notation, d’un score.
2. Quand le scoring s’invite dans le secteur de l’immobilier
Le recours aux données extra-financières est devenu une norme en immobilier dit “pierre-papier”. Il s’agit de véhicules d’investissement collectifs type SCPI ou OPCI. Ainsi, les sociétés de gestion collectent ces données afin de s’assurer que leur politique d’investissement est cohérente avec les attentes des épargnants. Sur la base de ces informations collectées, elles peuvent également engager des démarches en vue de labelliser leurs fonds ISR ou Finansol. Par ailleurs, ces données sont également utilisées afin de qualifier l’état du patrimoine immobilier, anticiper les travaux à réaliser, valoriser des travaux réalisés, mesurer l’empreinte carbone des bâtiments, etc.
Rappelons que l’immobilier est le 3ème secteur le plus émetteur de carbone (21% des émissions nationales) et consomme plus de 40% des ressources énergétiques. Le recyclage de matériaux, la consommation d’eau et d’électricité, l’isolation et l’utilisation d’énergies et de ressources durables sont autant d’éléments qui servent à évaluer un programme immobilier en respectant les critères ESG. Les aspects sociaux et sociétaux tels que la mixité de l’habitat, l’accessibilité aux PMR (Personnes à Mobilité Réduites), l’inclusion ou encore la création d’espaces communs sont aussi à intégrer comme indicateurs de performance sur un projet.
Ainsi, les méthodes d’analyse des produits ‘pierre-papier’ peuvent être considérés comme un pont entre les pratiques de la finance et un actif immobilier dit ‘pierre-pierre’. Ainsi, les fonds immobiliers gérés pourraient être scorés, notés, analysés et comparés.
Focus Taxonomie Verte
Dans les faits, il est aujourd’hui difficile de comparer les pratiques durables des activités. Aussi, l’Union Européenne a mis en place une Taxonomie, c’est-à-dire un système de classification des activités économiques permettant d’identifier celles qui sont durables sur le plan environnemental et qui n’aggravent pas le changement climatique. (Source)
L’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) a partagé une analyse de la Taxonomie Verte s’appliquant aux immeubles neufs, existants et tertiaires. (Lien ici)
3. Analyser et scorer les projets immobiliers – quelle démarche ?
Afin de réaliser des analyses conformes aux attentes et aux objectifs attendus du décideur, celles-ci doivent répondre à 3 grands principes : identifier les thématiques à mesurer, déterminer les données nécessaires et les modalités de collecte, organiser la data.
3.1. Identifier les thématiques ESG à mesurer
La finalité d’une analyse est de déceler un réel impact sur un actif. En l’immobilier, les éléments à analyser peuvent poursuivre un ou plusieurs aspects de la Taxonomie Verte en lien avec le projet européen visant la neutralité carbone pour 2050 :
- L’atténuation et l’adaptation au changement climatique,
- L’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines,
- La transition vers une économie circulaire,
- Le contrôle de la pollution
- La protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes
D’autres référentiels peuvent être utilisés pour identifier les thématiques ESG à étudier tel que la norme ISO 26000, le référentiel Ecoquartier, etc.
La notation peut alors se fonder sur ces thématiques afin de vérifier la présence d’un impact environnemental. Ainsi, les données à collecter pourront porter sur la réglementation appliquée aux bâtiments (RT2012, RE2020, seuil 2025, seuil 2028), la sobriété foncière en lien avec la loi ZAN (zéro artificialisation nette), l’Analyse de Cycle de Vie du bâtiment, l’amélioration des performances énergétiques des logements, le recours à l’économie circulaire, le coefficient de biotope par surface, la part de sol en pleine terre, etc.
Concernant la partie social / sociétal, celle-ci peut également faire l’objet d’un scoring. Un référentiel innovant a été proposé par l’économiste Kate Raworth : le DONUT. L’objectif pourra être de mesurer les actions favorables à la création du lien social au cœur d’un bâtiment avec des infrastructures collectives, la promotion d’associations, l’emploi de personnes qui en sont éloignées, la qualité de vie des habitants, les conditions de travail des employés impliqués dans le projet, l’impact sur les communautés locales, le dialogue social etc.
Les données en lien avec la gouvernance doivent se mesurer à l’échelle de l’opérateur immobilier. Elles peuvent concerner la transparence des processus décisionnels, l’éthique des pratiques commerciales, la conformité aux réglementations et normes en vigueur, ainsi que la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE).
3.2. Collecter les données
Une fois que les thématiques ESG à mesurer sont identifiées, il est nécessaire de déterminer les données à collecter : leurs sources, les fournisseurs, le degré de fiabilité.
Ainsi, une base de données large et variée est nécessaire pour examiner un immeuble et son environnement. Les sources peuvent être de nature quantitative ou qualitative. Elles peuvent être issues d’agences de notation qui distribuent certaines data, des opérateurs en direct, d’analyses issues de certifications ou de labels, de rapports RSE, de Déclaration de Performance Extra Financière, etc.
Il s’agit d’une étape stratégique, car sans ces éléments, les analyses sont impossibles. Les données clés fournissent des informations cruciales qui permettent de contextualiser, de mesurer et d’interpréter les résultats. Sans ces données, l’analyse risque d’être incomplète, imprécise ou même incorrecte, ce qui compromettrait la qualité des conclusions et des recommandations qui en découlent.
3.3. Organiser les données
Une fois les données collectées, celles-ci doivent être organisées, hiérarchisées, voire même pondérées. En fonction des objectifs de l’analyse et des livrables attendus, certains critères peuvent être plus importants que d’autres. Les hiérarchiser permet de mettre en évidence ceux qui auront le plus d’impact sur la décision finale.
Le système de pondération devient alors un outil utile. La pondération des critères consiste à attribuer des poids ou des valeurs relatives à chaque critère en fonction de leur importance respective.
En hiérarchisant les données, on s’assure que l’analyse immobilière prend en compte de manière appropriée les aspects environnementaux, sociétaux et de gouvernance, tout en mettant en évidence les éléments les plus importants pour la prise de décision. Cette étape permet de garantir que les recommandations formulées reposent sur une compréhension approfondie et équilibrée des différents aspects du projet immobilier.
4. Exemples de données disponibles pour analyser les projets
Comme il a été vu plus haut, la collecte de données peut s’appuyer sur des éléments existants. Les labels, certifications et démarches environnementales sont autant d’éléments permettant de venir nourrir une analyse.
Aussi, vous retrouverez ci-dessous quelques exemples de ces démarches et des thématiques qu’elles recouvrent : empreinte carbone, performance énergétique, préservation de la biodiversité, aménagement du territoire, lien avec les riverains, mixité sociale, le dialogue social…
4.1. Le label ISR Immobilier
Ce label se définit comme une certification externe qui permet d’identifier les produits d’investissement immobilier qui intègrent les critères ESG. Il apporte visibilité et crédibilité aux supports immobiliers (SCPI et OPCI) qui le décrochent. Datant de juillet 2020 et faisant l’objet d’une actualisation en 2024, le label ISR s’ouvre aux enjeux actuels et aux attentes croissantes des investisseurs quant au respect des critères ESG.
L’obtention du label repose sur 8 indicateurs d’impact obligatoires
- 4 critères sont imposés : performance énergétique, émissions des Gaz à Effet de Serre (GES), gestion de la chaîne d’approvisionnement et mobilité OU santé et confort des occupants
- 4 critères sont au choix avec un minimum d’un par pilier ESG
4.2. Les certifications NF Habitat et BEE+
Ces deux certifications se concentrent sur la qualité du logement.
Le référentiel NF Habitat se base sur des critères environnementaux liés aussi bien au bâtiment qu’à la construction (bonne performance énergétique, suivi des données carbone…). Il intègre aussi des éléments de qualité de vie et répond aux préoccupations sociétales pour s’assurer du confort des habitants.
La certification BEE+ est délivrée par Prestaterre (l’organisme certificateur). Pour répondre aux défis climatiques, le projet immobilier est analysé sous l’angle de l’efficacité énergétique, l’utilisation des ressources, la qualité de vie, le coût économique et d’autres facettes d’un programme immobilier.
4.3. La démarche EcoQuartier
La démarche EcoQuartier concerne les opérateurs d’aménagement foncier.
Son objectif : une meilleure gestion de la ville durable grâce à de nouvelles façons de concevoir et de construire. Ainsi, 17 objectifs du développement durable sont visés afin de répondre aux enjeux de la transition écologique.
Le label EcoQuartier évalue les performances des projets grâce à 20 indicateurs de sobriété, résilience, inclusion et création de valeurs. La sobriété foncière, la production d’énergie renouvelable, l’utilisation de matériaux bio-sourcés mais aussi la part de logements sociaux et abordables sont tout autant de critères examinés avant l’obtention du label.
4.4. La certification Effinature
Effinature est un indicateur qui réintègre la biodiversité dans les projets de construction. Cette certification s’applique à tout type de projets et utilise 80 critères classés dans 5 thématiques : la préservation du sol vivant, le développement du patrimoine végétal, le soutien à la faune locale, la réduction des impacts du projet et la valorisation des compétences.
Le projet immobilier est évalué au fil du temps, même après l’obtention de la certification, afin de soulever les potentiels problèmes et de trouver les actions à mettre en place pour améliorer la biodiversité.
4.5. Le label Biodivercity
Le label Biodivercity favorise la biodiversité urbaine (la diversité des milieux, des écosystèmes et des espèces, les relations avec l’Humain). Il accompagne les acteurs de l’immobilier à construire, rénover, exploiter les programmes en valorisant la nature.
Les 4 axes du label Biodivercity sont l’engagement, les moyens mis en œuvre, les évaluations des bénéfices écologiques et les bénéfices pour les usagers. Ensemble, ils forment une étiquette qui résume l’analyse du projet immobilier.
4.6. Exemple de chartes issues de collectivités
Le Label Frugale Bordelais
Le Label Frugale Bordelais est un référentiel qui s’applique à tout projet de construction et de rénovation sur la commune de Bordeaux. Il vise à encourager les maîtres d’ouvrage à réaliser des projets tournés vers la sobriété, le recours au dialogue social et favorisant les filières locales. Il est obtenu de manière provisoire au moment de la délivrance du permis de construire et peut être confirmé lors de la livraison.
Le Pacte Bas Carbone Lille
Le Pacte Bas Carbone de Lille défend les projets porteurs de valeurs sociétales et environnementales sur le territoire. Il s’organise autour de 6 priorités: l’énergie et l’eau, les matériaux bas carbone et l’économie circulaire, la nature, la biodiversité et l’agriculture urbaine, l’adaptation au changement climatique, la mobilité durable et le bien-être. Ce Pacte à pour objectif d’encourager une série d’actions concrètes et favorables au climat. Il vise les opérations immobilières d’ampleur, aussi bien en rénovation que construction et garantit un suivi des pratiques positives ESG.
La présentation n’est pas exhaustive, ni dans l’énumération des chartes, labels et certifications existants, ni dans la présentation qui en est faite. Pour connaître les sujets traités et les indicateurs, il est recommandé d’étudier les référentiels de chacun d’entre eux.